Et maintenant, un peu de repos !

Comme vous pouvez le constater, le rythme de rédaction d’article pour ce blog a été soutenu depuis sa création le 10 avril dernier. J’ai consacré beaucoup de temps et d’efforts afin de partager avec vous une partie de mon univers. Ce n’est pas que je considère ce projet comme une corvée, mais je sens bien que j’aurais besoin d’un brin de repos… surtout après le pavé indigeste d’articles que je vous ai proposés en mai, qui sera sans doute l’un des mois les plus actifs du blog pour un bon moment.

C’est pourquoi je compte profiter des beaux jours et laisser mes chroniques de côté durant quelques temps. J’en profite pour remercier une nouvelle fois ceux qui suivent régulièrement mon blog. Quant aux amateurs de musique psychédélique japonaise, sachez que je vous prépare (encore) une belle surprise pour la semaine prochaine. Restez branchés !

[Livre] Agatha Christie – Les Travaux d’Hercule

Auteur : Agatha Christie
Titre : Les Travaux d’Hercule (1947)
Année de parution : 2000
Éditeur: Éditions du Masque
Collection : Le Masque

Bien que n’étant pas un lecteur assidu, j’ai toujours aimé les histoires bien écrites, celles qui ont le génie du bon divertissement. Dans le roman français, mon référent serait Alexandre Dumas père ; pour ce qui est de la littérature anglaise, Agatha Christie dame le pion à tout autre prétendant. Non pas par amour invétéré des nouvelles policières, mais parce que son humour, sa créativité et son sens inné du coup de théâtre la placent parmi les lectures les plus agréables. Si les cinéphiles retiennent le sublime Témoin à charge filmé par Otto Preminger – avec Charles Laughton et Marlene Dietrich, excusez du peu – les amateurs de mythologie comme moi (depuis tout petit !) sont forcément intrigués par les aventures du détective Hercule Poirot réalisant ses douze travaux.

Publiés sous forme de nouvelles mensuelles à partir de novembre 1939, Agatha Christie publie Les Travaux d’Hercule sous forme de recueil dès 1947, donnant l’occasion à de nombreux lecteurs de découvrir avec bonheur cette version belge des légendaires travaux de son homologue grec. La symbolique est souvent « spirituelle » dans le sens « humoristique » du terme, le détective décidant de son plein gré d’affronter douze énigmes qu’il met lui-même en relation avec les épreuves mythologiques. C’est avec un plaisir non dissimulé que l’on revisite ces exploits légendaires, comme on a pu revisiter la chanson des Dix petits nègres.

Qu’il s’agisse de résoudre le mystère de la disparition d’un pékinois dans Le Lion de Némée ou de faire taire les commérages dans L’Hydre de Lerne, ou de faire face au danger dans des affaires plus sérieuses comme face à un criminel forcené dans Le Sanglier d’Érymanthe, la dame de lettres britannique parvient toujours à créer un lien avec la mythologie grecque, avec plus ou moins de finesse. L’histoire du vol de tableau entourant La Ceinture d’Hyppolyte, par exemple, semble un peu tirée par les cheveux. Agatha Christie parvient néanmoins à nous arracher des interrogations et des sourires dans l’ensemble de ces nouvelles par des petites réflexions toujours bien placées.

Outre la différence de qualité entre les nouvelles, ce recueil a pourtant une vraie faiblesse. Contrairement à des aventures comme Le Crime de l’Orient-Express ou Les vacances d’Hercule Poirot, ce recueil ne laisse pas au lecteur le temps d’agiter ses « petites cellules grises ». Un défaut imputable au format de la nouvelle qui suppose parfois des indices gros comme une maison ; à mi-parcours, les habitués devinent déjà la résolution de l’intrigue. Reste cependant le plaisir de lecture, intact. Si Les travaux d’Hercule ne font décidément pas partie des best-sellers de Poirot, l’imagination fertile de sa créatrice rend très singulier ce recueil de petites aventures.

[Musique] Neil Young – Le Noise

Artiste : Neil Young
Titre de l’album : Le Noise
Année de sortie : 2010
Label : Reprise Records
Genre : Rock, folk, americana

Certains amateurs voient en Neil Young un brave hippie des années 60-70, un musicien aux cheveux longs adepte de la country, chantant des textes sensibles et emprunts de poésie. D’autres le considèrent comme un fier représentant de chevauchées électriques maîtrisées, un pape du rock éternel, même si tout finit emporté par le feu ou par la rouille. A vrai dire, personne n’a raison. Neil Young échappe à tous les carcans posés par les vieux routards, les bobos ou le reste des auditeurs à la petite semaine. Et cet album, sorti le 28 septembre 2010, nous le prouve une fois de plus.

Le Noise est un album surprenant pour les fans qui restent encore vissés sur leur Harvest. Faisant suite au décevant Fork in the Road, il est le fruit d’une collaboration inédite entre le loner canadien et Daniel Lanois, compatriote francophone connu pour ses travaux de production musicale (Bob Dylan, Peter Gabriel ou encore Nick Cave). Pourtant, si l’on connaît le penchant de Neil Young pour les déluges de bruit et les collages expérimentaux (écoutez Arc-Weld !), sa dernière réalisation déçoit quelque peu en matière de gros décibels qui tachent. Avec du recul, elle oscille vaguement entre pur génie et production discutable, en proposant un mélange de lo-fi et de chanson alternative. L’ambiance qui s’en dégage laisse toutefois aussi rêveur que perplexe.

 

Car parmi les titres de l’album, et c’est une belle ironie, ce sont les sublimes ballades acoustiques « Love and War » et « Peaceful Valley Boulevard » qui le hissent vers le haut du panier. Le son de guitare vibre à la manière d’un Bruno égaré dans un trip americana. Les pistes électriques ont plus de mal à s’imposer, même si « Walk With Me » ou « Rumblin’ » s’en sortent avec les honneurs. Côté textes, le propos est amer, à la limite du cynisme ; il est  un dur regard posé sur la société, les hommes et sur l’artiste lui-même (« Hitchhiker »). Au final, c’est davantage l’interprétation de Neil Young que les bidouillages électroniques qui insufflent à Le Noise une belle fraîcheur.

A l’instar d’un Loren Connors, Neil Young nous offre donc un voyage atypique et intimiste ; seul face à sa guitare, il n’a besoin de personne pour nous emmener dans des paysages où les sentiers ne sont pas encore suffisamment battus. Vif, pertinent, dynamique, l’album est à l’image de son géniteur, il parvient à se faire adopter malgré ses nombreux défauts. Version vidéo de l’album, le film est encore visible sur YouTube, ce qui permet à tout le monde de patienter avec un bout de voyage aux États-Unis en attendant la sortie de son prochain album, Americana.

[Cinéma] Alain Resnais – Le chant du Styrène

Réalisateur : Alain Resnais
Titre du film : Le chant du Styrène
Année : 1958
Durée : 13 min
Genre : Court-métrage documentaire, Poésie

On peut affirmer sans trop s’avancer que le souci esthétique représente une part essentielle dans le domaine de l’œuvre cinématographique. Cadrage et photographie, mise en lumière, tout compte pour faire surgir la beauté d’une scène, le charme d’une ambiance, les couleurs d’un décor. Bien que cela ne saute pas aux yeux, les documentaires font eux aussi l’objet d’un soin tout particulier ; ils peuvent même faire l’objet d’expérimentations. On peut penser à Taris, roi de l’eau de Jean Vigo tout autant que les certains courts-métrages comme Seven Women of Different Ages de Krzysztof Kieślowski. Mais peu de réalisateurs ont su tirer tant de poésie à partir d’un sujet aussi banal qu’Alain Resnais avec son documentaire de 1958, Le chant du Styrène.

Car en effet, il paraît compliqué de parler comme un livre de la fabrication de la matière plastique en une quinzaine de minutes, sur commande du groupe industriel Pechiney. Ce serait comme vous parler de son rachat par la société Alcan en 2003, elle-même rachetée par le géant anglo-australien Rio Tinto il y a cinq ans : je sens que je vous perds déjà ! Pourtant, le seul jeu de mots du titre retient l’attention. Et quand on apprend que Raymond Queneau joue les scénaristes pour Pierre Dux qui nous conte en off l’histoire du polystyrène, cela promet un beau moment. Alors on s’assoit et on écoute le monsieur citer en alexandrins la belle histoire de nos ustensiles en plastique.

 

Après un générique classique auquel succède une citation d’un poème de Victor Hugo, première surprise. Ce n’est pas un représentant cravaté qui nous accueille dans son entreprise, sinon des images d’une végétation venue d’ailleurs, une flore aux couleurs vives, surnaturelles, qui croît gracieusement devant l’objectif. Organiques et mystiques, ces plans inspirés d’algues et de coraux orangés révèlent en réalité la matière synthétique sous sa forme finie ; le début d’un voyage à contre-sens, où se narre la genèse d’un bol rouge, depuis sa sortie du moule, la création du matériau et des ses composants multiples (styrènes), pour finir dans un univers beaucoup moins enchanteur : les usines de charbon et de pétrole, les matières premières qui permettent à tant de kitchenettes d’’apporter un brin de couleur à la maison.

Si l’éclat des couleurs frappe dès les premiers instants (peu de courts-métrages de ce style peuvent se payer le luxe, à l’époque, de proposer une palette si vive), c’est surtout le parti pris par l’équipe de réalisation qui s’avère payant. Cette trame narrative, expliquant avec humour et poésie la fabrication d’une matière industrielle, sans noblesse, crée un délicieux décalage. Le but restant d’informer le spectateur, mais avec cette touche de légèreté qui donne au court-métrage une dimension tout à fait particulière. Après avoir visionné Le chant du Styrène, ne vous étonnez pas si un autre grand artiste, Jacques Tati, vous vient à l’esprit. Car enfin après tout, ne retrouve-ton pas ce décalage poétique mis au service de l’absurde, ce contraste entre couleurs et grisaille, dans des films comme Mon oncle ? La comparaison avec l’un des grands chefs-d’œuvre du cinéma français peut paraître un peu audacieuse ; si vous avez un quart d’heure devant vous, le mieux reste de vous faire votre propre opinion.

Neil’s Darling Clementine

Deux semaines après la mise en ligne d’un premier clip, Neil Young propose à nouveau de découvrir un titre de son prochain album. Le moins qu’on puisse dire c’est que ces deux titres sont du même calibre : « Clementine » envoie la sauce électrique. Le Crazy Horse a l’air en forme olympique. De quoi faire monter la pression avant la sortie de son Americana le 4 juin.

Toujours à la pointe de la mode, après avoir sorti son premier volume d’archives en Blu-Ray alors que le format était tout récent, Neil Young propose également à ses fans de participer à la création d’une carte des États-Unis vue par ses fans, chacun ayant en effet la possibilité d’envoyer via Instagram une photo d’une ville de n’importe quel État des U.S.A. et de contribuer à la promo de l’album en donnant sa propre vision du pays. Une initiative sympathique à découvrir d’urgence sur le site americanamap.neilyoung.com.

Un dernier mot sur Keiji Haino

Avant toute chose, je tiens à remercier les nombreux visiteurs qui ont suivi cette semaine spéciale John Zorn, avec une mention toute particulière pour le blog du Zornographe. Si vous avez trouvé mes articles intéressants, n’hésitez pas à passer de temps à autres sur le blog ! Dans les prochaines semaines, je compte parler de nombreux autres albums édités chez Tzadik, ainsi que de musiques d’improvisation susceptibles de vous intéresser. Bien sûr, d’autres disques de John Zorn seront « décryptés » dans les mois qui viennent.

Un grand merci également à ceux qui se sont intéressés de près au dernier album de Fushitsusha et aux articles concernant Keiji Haino. Les informations ne circulent pas suffisamment en dehors du circuit des initiés, ceux « dans le secret ». Néanmoins, je suis en mesure de vous confirmer une nouvelle : c’est bel et bien un film documentaire sur Keiji Haino qui sortira au Japon le 7 juillet prochain, comme le confirme la page web créée à cet effet et qui vient d’être mise à jour aujourd’hui.

D’après les informations contenues sur cette page, le film est réalisé et monté par un certain Kazuhiro Shirao. Ces premières images semblent indiquer un documentaire basé sur les performances récentes du chamane nippon – bien qu’on puisse être en droit d’attendre des extraits de VHS ou de DVD, voire quelques vidéos d’archives encore inédites. Ce qui est sûr, c’est que le film risque bien d’écrire une légende dorée, Haino ayant tendance à contrôler son image de manière assez stricte. Reste à savoir si à l’instar de La Faute des Fleurs pour Kazuki Tomokawa, ce document sera disponible à la vente et passera la frontière.

Outre une courte biographie de l’artiste et une présentation de l’équipe du film, le reste des informations sur doc-haino.com indique une volonté de dissiper un peu l’aura mystérieuse du leader de Fushitsusha. On notera le flot de commentaires élogieux venu de musiciens de l’underground nippon tels que Kan Mikami, Merzbow ou le groupe Hijokaidan, mais également de danseurs comme Kudo Taketeru et Min Tanaka et bien évidemment du directeur du label PSF. Un trailer est à venir, les plus curieux n’hésiteront pas à suivre la page Twitter mise en place pour faire monter le buzz.

Je tiens également à vous annoncer, de source sûre, que Keiji Haino prévoit d’effectuer une petite tournée en Europe au mois d’octobre prochain avec le nouveau line-up de Fushitsusha. Apparemment, deux ou trois dates seraient à l’ordre du jour, dont une sur le territoire français. Bien qu’elle soit à prendre avec des pincettes, cette nouvelle fait l’effet d’une bombe ! Pour fêter ça, je vous propose de télécharger un bootleg du concert de Keiji Haino au Consortium de Dijon, en date du 14 avril 2012. Vous trouverez le lien dans les commentaires.

Bonne écoute à tous !

[Musique] John Zorn – New Traditions in East Asian Bar Bands

Artiste : John Zorn
Titre de l’album : New Traditions in East Asian Bar Bands
Année de sortie : 1997
Label : Tzadik
Genre : Spoken Word, Jazz, Avant-Garde

On sait Zorn fasciné par les cultures orientales. On connaît également l’importance du conflit fertile entre tradition et modernité en Asie – au Japon en particulier. C’est presque sans surprise que l’on pourrait aborder cet album qui propose un concept original, à savoir utiliser une famille de langages dans des compositions pour en exploiter le timbre particulier. En d’autres termes : faire surgir la beauté de langues « exotiques » en mêlant voix et instruments. C’est loin d’être la première tentative dans ce domaine ; on pourrait par exemple parler de Paul De Marinis et de son Music As a Second Language, ou tout autre type de travail qui vise à recentrer le langage dans un contexte musical. Dans cette optique, pour chaque pièce, Zorn fait le choix de l’improvisation par duos, supervisant ainsi l’association texte/voix et musique en recourant à des amis interprètes, dont la réputation n’est plus à faire aujourd’hui. Avec New Traditions in East Asian Bar Bands, cherche-t-il à renouer à une tradition des contes, ou bien à réinventer une poétique moderne ? Dans quelle mesure voix et instruments se mêlent-ils, et quel en est le résultat ?

La première pièce, « Hu-Die » (1986), s’organise autour d’un texte en cinq tableaux rédigé par Arto Lindsay, l’utilisation de guitares électriques via Bill Frisell et Fred Frith, et la langue chinoise par l’intermédiaire de sa narratrice Zhang Jinglin. Les accords atmosphériques de l’excellent duo rappelle ce dont sont capables Jim O’Rourke et Loren Connors, avec quelques moments de gloire guitaristique. Leur jeu, très inventif et complémentaire, propose une improvisation très aérienne (à l’exception d’une ou deux sonorités orientales dans la dernière minute) à laquelle la voix grave et sensuelle, très féminine, se prête merveilleusement bien. Pourtant, là où cet univers tout en circonvolutions gracieuses pourrait être exalté, la narration tente trop souvent de se mêler à l’accompagnement. Ce chevauchement implique un changement de cadence et de timbre qui entre en conflit, là où tout est supposé vivre en harmonie.

 

La transition avec « Hwang Chin-Ee » (1988), seconde pièce du puzzle, est pour le moins brutale : la recherche sonore s’effectue cette fois dans la famille des percussions, avec Joey Baron et Samm Bennett aux baguettes. D’emblée, leur jeu se colore de divers sons – un paysage beaucoup plus dense et pertinent que la tentative de Keiji Haino, par exemple. En parallèle à ce duo de choix, la Coréenne Jung Hee Shin raconte un texte en vers de Myung Mi Kim. L’interaction entre les univers se fait ici beaucoup plus convaincante : la langue se fait plus espiègle, voire plus violente par moments. Le style est, c’est le cas de le dire, percutant. Une question se pose malgré tout : peut-on alors avancer que c’est davantage la narratrice qui séduit que la langue en elle-même ? …

La dernière pièce du triptyque « Quê Tran » (1990) renoue avec les jeux d’échos de la première, avec cette fois une paire de claviéristes, Anthony Coleman et Wayne Horvitz. En se basant sur une prose encore plus fouillée lue par une narratrice vietnamienne (Anh Tran), la composition tire un peu en longueur, malgré un agréable jeu de question/réponse entre les instruments et la voix. L’ambiance se fait également éthérée, fantomatique. Très calme, elle résonne comme une belle et longue prière de moine bouddhiste zen à nos oreilles occidentales. Voilà peut-être l’équilibre que cherchait Zorn dès le départ ? C’est en tout cas le morceau le plus abouti, la symbiose est réussie.

Cet album-concept possède de nombreux mérites. Outre l’intérêt d’une telle expérimentation, le talent de ses interprètes en fait un excellent catalogue de l’univers des possibles pour trois catégories d’instruments, à travers un superbe éventail d’improvisations. Pourtant, il trouve ses limites dans sa propre structure. Outre une alchimie moyenne en première partie, on peut regretter l’utilisation de voix exclusivement féminines dans ces projets atypiques ; peut-être afin d’apporter une touche de sensualité à un projet qui autrement, semblerait trop reproduire des émissions radiophoniques ? Ne boudons cependant pas notre plaisir, car au-delà de toute abstraction amphigourique, la redécouverte de ces langues est en elle-même un succès pour John Zorn, dont le caractère unique surprend au sein d’une carrière déjà très singulière.

[Musique] John Zorn – Songs From the Hermetic Theatre

Artiste : John Zorn
Titre de l’album : Songs From the Hermetic Theatre
Année de sortie : 2001
Label : Tzadik
Genre : Électronique, ambient, expérimental

L’avantage d’avoir son propre label, c’est la liberté artistique et la possibilité de diffusion de vos propres œuvres – quitte à gonfler son ego aux stéroïdes. Tzadik nous donne un exemple (im-)parfait d’album expérimental type « système D », dans lequel John Zorn propose quatre pièces oscillant entre la petite dizaine de minutes et le gros quart d’heure, dans le plus pur style boîte à outils et sons rafistolés au chatterton : Songs From the Hermetic Theatre.

Par snobisme, ce disque pourrait bien être qualifié d’une petite excursion électro-noise parmi tant d’autres, reposant en particulier sur le glitch et le dark ambient. Car depuis le début des années 2000 et la démocratisation des logiciels de manipulation de micro-sons, ces albums poussent comme des champignons dans les bacs de musique alternative. Pourtant, celui-ci présente l’avantage déterminant de proposer la première pièce intégralement électronique du maestro (« American Magus ») ainsi que son premier jet dans la musique assistée par ordinateur (« The Nerve Key ») : des compositions qui évoquent à la fois Merzbow, John Wiese et tout un paquet d’artistes qui façonnent le bruit jusqu’à ce que vous en entendiez la mélodie.

Court extrait de « American Magus » mis en image

Outre une seconde piste très minimaliste en hommage à la cinéaste surréaliste Maya Deren, « Beuysblock » s’impose comme un final bien barré, une sorte de manifeste futuriste dans lequel Luigi Russolo accompagnerait gaiement un court sample d’ensemble à cordes avec les moyens du bord. Les tessitures dissonantes sont rapetassées à cette musique de chambre dans un joyeux bazar. Autant de témoignages autour de la cuisine sonore chez Zorn : elle passe par la chambre, le bureau, le salon et le garage avant d’atteindre nos oreilles. Amateurs de bruitisme, bonsoir.

[Musique] John Zorn – 50⁹ The Classic Guide To Strategy Volume Three

Artiste : John Zorn
Titre de l’album : 50⁹ The Classic Guide To Strategy Vol. Three
Année de sortie : 2004
Label : Tzadik
Genre : Improvisation libre

Suite aux concerts donnés en septembre 2003 à l’occasion de son cinquantième anniversaire, John Zorn lance l’idée d’éditer une série d’enregistrements sur Tzadik. Les onze volumes des 50th Birthday Celebration Series rassemblent un florilège de groupes et d’artistes proches de lui : Milford Graves, Fred Frith, Mike Patton, Yamataka Eye, Susie Ibarra pour ne citer qu’eux. Si l’un des plus fameux disques de cette série est sans conteste celui enregistré avec sa formation Electric Masada, le neuvième volume de la série présente le saxophoniste seul en scène, libre de jouer de son instrument de prédilection.

Intitulé The Classic Guide To Strategy Volume Three, ce concert est l’occasion pour John Zorn de poursuivre les deux premiers volumes éponymes sortis en vinyle dans les années 80 sur un label obscur, avant leur réédition bienvenue en 1996. Cette fois, les improvisations et expérimentations ne doivent pas leur nom à des artistes japonais mais forment un « Fire Book » en cinq parties. Zorn se limite également au saxophone alto. Ceux qui ont l’habitude d’écouter les assauts stridents du maestro savent déjà ce qui les attend : de longs soli étirés sur trois quarts d’heure où l’instrument souffle, crie, piaffe, grogne et crache à l’envi, dans la lignée de performers tels qu’Albert Ayler ou Kaoru Abe. Certes, si on le compare à ses aînés, ce concept ne possède rien de bien original, mais là n’est pas la question. Car le patron de Tzadik est présent quand il s’agit d’avancer les bons arguments à coups de anches.

En effet, les très bonnes idées que Zorn pioche au gré de cette séance quasi-masturbatoire font mouche, même si un tel disque demeure avant tout réservé à un public averti, qui a appris à apprécier autant John Coltrane que Peter Brötzmann. Pourtant à en juger les ovations du public, cette performance habitée rencontre un franc succès. On pourra bien sûr dire qu’il prêche des convaincus, mais pourquoi ne pas tenter l’expérience ? Surtout que pour ne rien gâcher, la qualité d’enregistrement est telle qu’on jurerait avoir le pavillon de l’instrument collé juste à l’oreille : ça décoiffe sa maman dans le genre jazz-noise intempestif.

[Musique] John Zorn – The Bribe

Artiste : John Zorn
Titre de l’album : The Bribe – Variations and Extensions On Spillane
Année de sortie : 1998
Label : Tzadik
Genre : Jazz d’avant-garde expérimental

Comme évoqué dimanche dernier, piocher un disque dans la galaxie John Zorn n’est pas chose aisée. À raison, les amateurs recommanderont certainement l’écoute de Naked City, sorti en 1990, album-phare du saxophoniste américain. Ceux qui recherchent une porte d’entrée tout aussi agréable et grisante ne se tromperont pas en choisissant The Bribe comme terrain de jeux musicaux. L’album promet l’un des disques « les plus éclectiques et stimulants » sortis par Zorn – et on peut dire que le line-up promet effectivement beaucoup : on y retrouve notamment Zeena Parkins (harpe), Anthony Coleman (piano), Christian Marclay (platines) et de temps à autre Ikue Mori aux machines. Restez calés dans vos sièges les amis, car l’affiche de ce soir colle une sacrée claque.

À l’origine, ces trois programmes enregistrés en 1986 sont destinés à accompagner autant de pièces radiophoniques, puis une pièce de théâtre dans la foulée. Hors des cartons, cette archive se révèle être une véritable aubaine pour les amateurs de pots-pourris musicaux, avec ses vingt-six pistes qui partent tous azimuts. De l’intro jazzy de la première partie « Sliding on the Ice », on passe ainsi d’expérimentations électro-acoustiques à de la musique de jeux vidéo, de la fusion jazz-rock style Zappa semblant se dégonfler sur une musique de film soft pour mieux partir à nouveau en sucette, et des samples cartoonesques qui précèdent d’autres expérimentations bien senties. Le rythme est enlevé, les pistes assez courtes. On respire, ça bouge.

Si la seconde partie, « The Arrest », paraît plus sombre et moins éclatée  – en particulier par la présence d’un morceau plus atmosphérique d’une douzaine de minutes, rien ne semble cependant échapper à la règle de la digression. Quand la troisième partie « The Art Bar » entame son thème rétro de film noir, chaud et humide – bref agréable, rien ne indique que ce chemin nous mène à du rock un peu cliché en guise d’introduction à davantage de manipulations sonores. En bref, l’amateur retrouve tout au long du disque ce qui caractérise la musique de John Zorn, mélange habile de groove, d’improvisation et de dissonances, avec le coup du chapeau habituel – Morricone, Herrmann, Stalling.

Tout se fait ainsi dans une urgence vaudevillesque. On passe du coq à l’âne en évitant la chute d’enclumes dans une énergie de tous les instants. Ce fourmillement d’idées n’en est pas moins un kaléidoscope de timbres et de sonorités qui offre de très belles découvertes, au-delà du simple plaisir d’écoute. Si John Zorn ne propose pas toujours des trésors cachés, The Bribe s’avère être un must-have pour tous les zorniens.